RTWArchives

Plan du site
Sommaire
Archives



Chine : Amnesty dénonce la hausse des violentes expulsions foncières - 14/10/2012


SUR LE NET :

boxunblog (en chinois)
Aujourd'hui la Chine/Facebook
Chinese Human Rights Defenders
Falun Gong - Sur la répression d'un art traditionnel en Chine
Congrès Mondial Ouïghour
Free Tibet
International Campaign for Tibet

 
Chine, Fang Hong «rééduqué» pour un coup de blog
   

Libération, le 6 novembre 2012

Envoyé spécial à Chongqing

L’histoire de la captivité de Fang Hong est digne d’un roman de politique-fiction. Avant d’entamer le récit de son épreuve, le modeste employé du bureau des Eaux et Forêts de 46 ans, blogueur à ses heures, rajuste ses lunettes, allume une cigarette et s’assied à la table de sa cuisine. Une baie vitrée de son appartement donne sur un horizon hérissé de tours de trente étages, un concentré vertical d’humanité caractéristique de Chongqing, une commune de 30 millions d’âmes dont la superficie est équivalente à celle de l’Autriche.

Le délit qui a expédié le petit fonctionnaire dans un «camp de rééducation par le travail» tient à un tout petit fil, celui qui relie son ordinateur à Internet. Un jour d’avril 2011, il apprend qu’un avocat vient d’être condamné à la prison sur ordre du Parti, parce qu’il avait révélé que son client avait été torturé par la police. L’abus de pouvoir met Fang Hong en rogne. Cette affaire est un «tas de merde», écrit-il sur son blog.

Ce coup de gueule n’échappe pas à la wangluo jiancha zhidui («brigade de contrôle d’Internet») de Fuling, le district de Chongqing où Fang Hong habite. «Rien qu’à Fuling, on dénombre une vingtaine de ces agents qui passent leur temps à pourchasser les commentaires potentiellement subversifs», indique Fang Hong. Au téléphone, le capitaine de la brigade exige du contestataire qu’il retire son pamphlet. Prudent, celui-ci s’exécute.

Vingt-quatre heures de siège

Mais l’autocensure ne suffit pas à satisfaire la police d’Internet, qui transmet son dossier au guojia zhengzhi baoweiju («bureau national de la sécurité politique»). Connus sous le diminutif «guobao», ces policiers omniprésents dans tout le pays disposent de nombreux pouvoirs discrétionnaires. Ainsi peuvent-ils - sans passer par le système judiciaire - condamner administrativement les frondeurs jusqu’à trois ans de «rééducation», extensibles à quatre ans. Le bureau local des guobao convoque Fang Hong pour «boire le thé», c’est-à-dire à un interrogatoire. Cette fois, loin de baisser la tête face aux inquisiteurs, Fang persiste et signe. La police politique le laisse repartir. Sans qu’il se doute de ce qu’elle lui réserve.

Le lendemain, au pied de son immeuble de quinze étages sans ascenseur débarque une noria de véhicules équipés de gyrophares et un camion de pompiers. «Une vingtaine de policiers en tout, se souvient l’employé. J’ai tout de suite compris que c’était en rapport avec mon blog.» La police frappe à grands coups sur sa porte, mais Fang refuse d’ouvrir. «Ils n’ont pas osé la défoncer, sans doute parce que l’affaire n’est pas à proprement parler criminelle, mais politique», explique-t-il. Les agents coupent alors l’eau et l’électricité du logement et, après vingt-quatre heures d’un siège qui traumatise tout le voisinage, Fang finit par se rendre. Sur le champ, la police lui annonce qu’il est condamné à un an de «rééducation par le travail».

Le «camp de rééducation» de Fuling, d’où il a été libéré à l’issue de sa peine, le 24 avril dernier, est situé à quelques kilomètres de son logement, sur l’une des hauteurs de la ville, dans un cul-de-sac. Le lieu ressemble à s’y méprendre au siège d’une grande entreprise. De l’extérieur, on aperçoit une fresque murale haute de dix mètres représentant des policiers. Au pinacle, on peut lire : «Efforçons-nous de construire des camps de rééducation par le travail modernes et civilisés.»

Importées d’Union soviétique par Mao Zedong en 1957, ces institutions extrajudiciaires ne sont pas tombées en désuétude en Chine, loin de là. Entre un et deux millions de personnes sont enfermées dans plusieurs centaines de ces camps mis au goût du jour. A l’intérieur de celui de Fuling, raconte Fang Hong, un millier de prisonniers triment à fabriquer des guirlandes de Noël. «Toute la production est exportée, principalement en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe», indique l’ancien détenu. «Chaque prisonnier doit monter 6 800 ampoules par jour sur les guirlandes, poursuit-il, et ceux qui ne remplissent pas les quotas de production se voient retirer des points. Au bout de dix points, un jour de camp supplémentaire est ajouté à la peine.» Les nonchalants sont privés de viande aux repas, ils doivent apprendre par cœur le règlement et sont soumis à des périodes de privation de sommeil, autant de nuits que jugé nécessaire, assis sans bouger sur un tabouret. Les insoumis, eux, reçoivent des décharges électriques. «Ils nous disaient : "Gare à vous, vous n’êtes pas dans une prison, mais dans un camp où nous avons tout pouvoir sur vous."»

A la chaîne de 7 heures à 18 heures

Le travail dans l’usine du camp est payé une somme symbolique : 8 yuans par mois [1 euro, ndlr]. Les détenus sont à douze dans des chambres de 6 mètres sur 4. Lever à 6 heures, course en rang pendant quinze minutes, toilette, petit déjeuner. Le travail à la chaîne dure de 7 heures à 18 heures, mais peut reprendre après le dîner - jusqu’à 23 heures s’il faut produire davantage de guirlandes, par exemple à l’approche de Noël. «C’est un camp de concentration à l’hygiène parfaite», remarque Fang Hong.

Les détenus du camp de Fuling - entre 18 ans et l’âge de la retraite - sont en majorité de petits délinquants. Quelque 10% d’entre eux sont des shangfang, des «pétitionnaires» qui cherchent à porter plainte auprès des autorités contre une injustice dont ils se considèrent victimes et que la police enferme pour les en empêcher. Triment aussi de nombreux chrétiens jugés trop prosélytes par les autorités, confie Fang Hong.

La catégorie des bagnards du Net comptait quant à elle une dizaine de personnes, se souvient-il. Certains avaient atterri là pour des raisons très prosaïques, tel cet homme de 70 ans, condamné à deux ans parce qu’il s’était plaint sur son blog, en termes assez crus, du fait que la police ne retrouvait pas sa bicyclette volée. D’autres étaient embastillés pour des raisons plus politiques. Peng Hong, 37 ans, a été condamné en 2009 à deux ans pour avoir posté des dessins satiriques. Il y avait aussi Liu Yong, qui a photographié avec son téléphone un homme nu, menotté par la police à un candélabre dans le froid et la neige. Le cliché a fait le tour du Web. Pour avoir ainsi exposé ce cas de brutalité policière, Liu Yong sera condamné à deux ans de camp.

Ren Jianyu, 25 ans, s’est lui aussi retrouvé pendant deux ans dans ce même camp. En septembre 2011, le «comité de rééducation», sorte de tribunal expéditif où siègent des policiers, se justifiait ainsi : «Entre avril et août 2011, Ren Jianyu a, à de nombreuses reprises, suivi, collé, copié, retweeté, posté une centaine de commentaires négatifs concernant les affaires internes, internationales, et les réformes politiques. Il a fait les louanges du système politique occidental, attaqué notre parti et notre gouvernement, et incité d’autres personnes à renverser le pouvoir politique. Il a été reconnu coupable de tentative de subversion.»

La condamnation à la rééducation est prononcée en secret. Dans ces conditions, il est difficile d’évaluer le nombre de ces forçats. Mais si l’on extrapole le décompte de Fang Hong aux huit «camps de rééducation» que compte Chongqing, on arrive à des dizaines de personnes. «Et Chongqing n’est pas une exception, loin de là, commente Fang Hong. C’est partout pareil en Chine.»

Un système de «petit goulag»

Personne n’aurait sans doute jamais rien su de tout cela s’il n’était pas survenu, en mars dernier, un événement majeur : la purge soudaine du chef du Parti de Chongqing, Bo Xilai, et de son chef de la police, Wang Lijun. Un avocat de Pékin, Pu Zhiqiang, et plusieurs de ses collègues du barreau de Chongqing, ont saisi l’occasion pour enfoncer un coin dans ce système de «petit goulag». Cet été, assistés par ces défenseurs, plusieurs dizaines d’anciens prisonniers ont exigé une indemnisation. «Ces condamnations étant administratives, explique l’avocat Pu Zhiqiang, elles sont dépourvues de tout recours légal. L’avocat que je suis n’y peut rien. En revanche, il est possible d’attaquer en justice les "comités de rééducation."»

Les tribunaux chinois, qui sont aux ordres du Parti, n’acceptent presque jamais ce genre d’action en justice. Mais la purge de Bo Xilai et de ses partisans a conduit les autorités judiciaires à se démarquer de leurs anciens patrons, par crainte d’être eux-mêmes blackboulés. «Nos avocats ont fait tellement de bruit sur Internet autour de cas comme le mien que les tribunaux ont fini par céder», dit Fang Hong. Au risque de voir exposer publiquement ce type de pratiques, la police a pris les devants et négocié des indemnisations. Ces dernières semaines, plusieurs ex-détenus ont vu leurs verdicts annulés pour «manque de preuves», et ont reçu de généreuses compensations - assorties d’une obligation de silence sur leurs conditions de détention. Peng Hong a perçu, en septembre, 200 000 yuans [25 000 euros] de la police. «Je ne peux pas vous parler», s’excuse-t-il au téléphone. Fang Hong qui attend lui-même l’indemnisation d’un tribunal, déplore : «L’argent et les menaces de la police à l’encontre de sa famille le font taire. Pour ma part, je n’ai jamais eu peur dire ce que je pense.»

Fang Hong a stupéfié la police en étant le premier de ces «prisonniers d’Internet» à contacter un avocat. «Juste avant mon arrestation, j’ai laissé un mot à mon fils pour qu’il s’en charge», relate-il. La police l’a appris, et s’est employée à faire obstacle à son fils, Fang Di, âgé de 21 ans. Le 6 octobre 2011, le jeune homme a à son tour été arrêté puis condamné par un juge, mais sans procès, à un an et deux mois d’incarcération pour «hébergement d’usager de drogue». «C’était un prétexte, ils n’ont trouvé aucune preuve», s’insurge Fang Hong, qui lui rend visite tous les mois en prison.

Comme pour lui, la police était venue en force. «A l’aube, dit-il, sous les yeux pétrifiés de mon fils, des hommes de la brigade antigang ont fait irruption par la fenêtre, accrochés à des cordes de rappel, tandis qu’une quinzaine d’autres policiers passaient par l’autre fenêtre du 15e étage depuis la plateforme d’une grue spécialement mobilisée pour l’occasion.» Les joues creuses, Fang Hong prend sa tête dans ses mains. «Tout ça pour quelques lignes de mon blog.»



Haut